Et si le président Alassane avait raison ?

J'étais au village depuis quelques jours, j'y passais des moments propices à la méditation et à la réflexion. Et cette nouvelle, qui n'aurait en réalité pas dû en être une, m'y a trouvé. Alassane Ouattara a décidé qu'il rendra le tablier à la fin de son mandat. Cela m'a fait jeter un regard sur le passé, faire une analyse rétrospective.

J'ai été, (le suis-je encore ?) très critique de sa politique. Aujourd'hui j'ai essayé de comprendre comment l'ancien Premier Ministre de Félix Houphouët-Boigny, devenu président, n'a même pas essayé de récidiver ce qu'il avait osé entreprendre pour éviter à la Côte la descente aux enfers en 1990. De par ma formation scientifique, j'ai appris la logique des choses, à dépasser mon moi pour essayer de comprendre les processus plutôt que de m'accrocher à ma conception et à ma vision. A partir de ce principe, j'ai fait un tour d'hypothèses qui pourraient être cohérentes et expliquer la politique du président Alassane Ouattara, fort contrastée avec celle du Premier Ministre Alassane Dramane Ouattara. Personnellement, ce n'est absolument pas cette politique qu'il a menée que j'aurais voulu pour la Côte d'Ivoire. La raison principale est qu'elle a laissé de côté des éléments qui me paraissent fondamentaux dans un processus de développement. Elle a ignoré l'être humain, acteur et bénéficiaire du développement. La lutte contre la corruption, le népotisme et tout ce qui va avec, n'a pas eu sa place dans son plan vers l'émergence. La moralisation de la vie politique et l'utilisation rationnelle des moyens financiers, humains et matériels de l'Etat sont restées en friche. Sur beaucoup de points, la rupture tant souhaitée n'a pas eu lieu, les mêmes phénomènes qui avaient cours sous ses prédécesseurs sont encore très vivaces. On peut épiloguer à longueur sur les insuffisances du système mis en place.

Pour tenter de comprendre la logique qui aurait guidé la vision du Président Alassane Ouattara, j'ai fait un rapide parcours mental de ce que je vois et entends aussi bien en zone rurale qu'urbaine, des échanges que j'ai eus avec certains jeunes, le raisonnement de notre élite intellectuelle. J'ai jeté un regard sur notre société, celle dans laquelle et pour laquelle toute politique nationale est destinée. Au bout de ce parcours, j'ai abouti à une théorie, qui m'a semblé cohérente, qui a pu soutenir les actions auxquelles nous avons tous été témoins depuis 2011. Cette théorie, la voilà (suivez la logique et non les mots). Elle obéit à l'impitoyable règle qui guide la quasi-totalité des politiciens, ce que certains appelleraient le machiavélisme ; cette façon de faire face à la réalité avec rationalité, réalisme et non avec utopie, idéalisme et émotion.

En 10 ans, il est impossible de changer en profondeur le rapport d'une société à sa culture ; et même quand on arrive à faire bouger les lignes, le résultat n'est perceptible que sur le long terme. Pour qu'il le soit, il s'agit, rien de moins que de se lancer dans une révolution. En Afrique, les rares expériences qui ont eu ou qui connaissent une suite que l'opinion publique considère comme un vrai succès sont celles du Ghana et du Rwanda. Dans les deux cas, elles sont le fruit d'une violence inouïe que les leaders ont été contraints d'utiliser pour faire accepter leur vision. Aucune révolution ne peut réussir si elle ne s'appuie sur un appareil sécuritaire discipliné et loyal. Au Ghana, Jerry John Rawlings a su s'appuyer sur une armée loyale dont il a pris soin d'extirper les mauvaises graines. Il a fait exécuter la quasi-totalité des officiers de l'Armée et de la Police ; ceux qui ont pu s'échapper se sont enfuis pour se réfugier à l'étranger. Les plus chanceux, surement ceux qui apparaissaient assez inoffensifs, ont été écartés et mis de côté. Au Rwanda, Paul Kagamé est rentré d'exil avec une armée très disciplinée qui lui était totalement soumise. En s'engageant dans une révolution, on se met à dos la quasi-totalité de la classe politique, la hiérarchie sécuritaire et une importante masse des dirigeants de l'appareil de production économique. Ce sont eux qui tirent le plus grand profit du système en place et n'ont aucune intention de laisser qui que soit leur ôter leurs avantages.

Quand Alassane Ouattara accède au pouvoir, il connait très bien ses ennemis. Quant aux amis, rien n'est sûr. Le PDCI, l'UDPCI et la rébellion sont à ses côtés conformément à une entente politique. Plusieurs cadres du RDR ne sont pas des garanties. On sait que quand certains n'arrivent pas à picoter dans le foin commun, ils deviennent très rapidement les pires dangers (Sankara en sait quelque chose). Le nouveau président, face aux péripéties qui lui ont permis d’accéder à la réalité du pouvoir exécutif, a dû conclure que ce serait à coup sûr se construire une armée d'ennemis et de potentiels trouble-fêtes que de vouloir continuer la même politique que quand il était Premier Ministre, surtout dans un contexte où l'appareil sécuritaire est le moins fiable. Quand il était Premier Ministre, c'est le Président Houphouët-Boigny qui assumait les conséquences politiques de ces décisions. Houphouët-Boigny maitrisait ses hommes et son appareil sécuritaire et politique, il pouvait prendre le maximum de risques. Alassane Ouattara a eu une bonne expérience du coût de cet épisode de sa vie. Incapable de s'attaquer à Houphouët-Boigny, il sait mieux que quiconque ce que particulièrement la classe politique d'alors lui a réservée. Quand on apprend bien sa leçon, on ne commet pas les mêmes erreurs.

Après avoir abouti à la conclusion qu'en 10 ans, il aurait eu une très faible chance de marquer son passage, il s'est défini une nouvelle trajectoire. L'urgence était de remettre le pays à flots après ce qu'a laissé la crise post-électorale ; ce qu'il n'avait, à mon sens, pas prévu. La deuxième priorité était la sécurité, s'assurer contre ses ennemis et ses amis. La potion magique pour les opposants a été un bon système de renseignements qui a permis d'anticiper et de déjouer toutes les tentatives de déstabilisation. Pour les amis, il fallait arroser certains avec des sommes sonnantes et trébuchantes, et pour d'autres ne pas les empêcher de s'adonner au sport favori des dirigeants depuis l'ère d'Houphouët-Boigny : la mangecratie. Bédié du PDCI et Soro de la rébellion ont été remerciés sans calcul. Les caciques du RDR, certains barons du PDCI et de la rébellion ont aussi connu les fastes de la République. A cette fin, des postes ont été créés presqu'à l'infini. Des ministères, des institutions, des directions générales et centrales, et que sais-je encore, ont été créés pour faire de la place à ce beau monde. Le Président Houphouët-Boigny disait qu'une bouche plaine ne pouvait pas parler. Et cette implacable vérité a fait ses effets. Pour couronner le tout et faire un peu plus de place à ceux du PDCI qui n'ont pu être casés, un Sénat a vu le jour. Dans un processus électoral, on n'est jamais trop sûr, alors le tiers des sénateurs sont nommés.

Alassane Ouattara a un gros ego, et ça se sent à mille lieues. Il tenait à pérenniser son passage, à marquer sa différence avec ses prédécesseurs, à marquer de sa pierre la Côte d'Ivoire comme il l'a fait lors de son passage à la primature. Quoi de plus visible que des édifices, des ponts et des routes. Des infrastructures visibles, palpables et présentables, cela laisse des traces. Avec la manne financière que ces gros investissements engendrent, il est sûr qu'en fermant les yeux sur la bonne gouvernance, il peut se créer une horde de laudateurs, barricader les services sécuritaires et desserrer la pression des donneurs de leçon occidentaux. Les laudateurs vont distribuer quelques billets de banques, faire quelques dons en nature et cela créera un effet domino pour s'étendre à une jeunesse déboussolée.

Alors pourquoi se lancer dans un combat qu’on n’est pas sûr de gagner plutôt qu'un qui peut élever dans le panthéon de l'histoire ? Aujourd'hui, presque personne ne parle de toutes les perversions du système Houphouët-Boigny. Et Dieu seul sait comment sur beaucoup de points il a été un facteur négatif à l'édification d'une Afrique responsable d'elle-même ! Comment il a été un complice accompli de la politique coloniale et a su être un moteur de la perpétuation de celle-ci. Servir son village, son clan c'est ce que les populations trouvent normal. Placer son neveu et sa cousine à des postes juteux, tel est le vœu de la majorité de nos concitoyens qui trouvent cela normal. Alassane est l'Houphouetiste le plus accompli. Il n'a certes ni le tempérament de son mentor, ni sa patience et surtout sa connaissance et sa maîtrise de la culture ivoirienne. Ce qu'il a appris le plus, c'est sa méthode. Le respect de la loi, la démocratie, la bonne gouvernance, tout cela dépend. Tout comme son mentor, il est au-dessus de tout, il agit comme un monarque absolu, il a de fortes relations extérieures, parmi les plus grands de ce monde, dans le monde des finances, des affaires et de la politique. Ce qui compte, c'est la stabilité du régime et la perception qu'en ont ses appuis extérieurs. C'est de l'Houphouetisme pur et dur.

Personne ne peut nier la réalisation des infrastructures. Sauveur pour beaucoup de ruraux qui voient en lui le messie qui a apporté l'eau et l’électricité à travers les pompes, les châteaux d'eau et la lumière qui illumine la rue dans leur village. L'histoire ne pourra nier les kilomètres de bitume, le nombre de ponts, les échangeurs. La baie de Cocody, le futur bâtiment de plus de 60 étages qui est en train de sortir de terre à la place de l'ancienne préfecture de police et surtout le train urbain d'Abidjan, sont les points d'orgue de ce qu'il veut laisser à la postérité. Les nombreux centres commerciaux qui ont vu le jour sont une attraction pour les acteurs de l'économie mondialisée. Ceux qui la contrôlent n'ont aucune envie de voir ce marché émergent s'effriter. Les marchés d'Europe et d'Amérique du Nord sont saturés. La massive intervention du secteur public fait envoler les ratios dont raffolent les analystes. Et Il faut de nouvelles frontières de croissance. La Côte d'Ivoire se trouve dans le haut du palmarès de la croissance. Alassane Ouattara a le soutien qui lui permet de maintenir, avec ou sans sa personne au premier poste, la continuité de sa vision. Il sera là, le temps de l'achever avant surement de se retirer aux Mougins. Que personne ne se leurre. Alassane Ouattara usera de tout ce qui est en son pouvoir pour que son successeur soit une personne loyale, une personne qui va poursuivre l'œuvre et non une personne dont la seule politique sera de se venger du passé, qui va passer tout son temps sur des dossiers judiciaires et une communication de diabolisation de son régime à n'en pas finir. Que personne ne se détrompe, ce ne sont ni les lois, ni les principes démocratiques ou de bonne gouvernance, ou encore de l'opinion publique nationale qui seront un frein. Alassane Ouattara, fera de façon acceptable par ses puissants soutiens, tout ce qui est possible pour empêcher le retour aux affaires de ceux qu'il considère comme les premiers responsables de la chute de la Côte d'Ivoire dans le ravin profond dans lequel il l'a repêché. Il ne toléra ni le PDCI version Bédié, ni le FPI de Gbagbo de reprendre la conduite de ce pays.

Avec ses grands chantiers, s'il réussit à transférer le pouvoir à son clan, on aura surement la tour Alassane Ouattara, le pont Alassane Ouattara et l'histoire pourra dire qu'il est le père du train urbain d'Abidjan. Et ça, je pense qu'il en sera content. Alors, avais-je raison de le pourfendre pour avoir laissé les coupeurs de rue (les coupeurs à col-blanc dans les bureaux feutrés) dans tous les carrefours ; ces hauts-fonctionnaires et politiciens qui ne sont jamais rassasiés et qui prennent un grand plaisir à maintenir leurs couteaux aiguisés en permanence pour découper une partie de toute viande qui passe devant eux ? Dans le fonds oui, mais l'honnêteté m'oblige à reconnaître qu'il est plus simple de renoncer à traverser le fleuve que de risquer sa vie en tentant de le faire quand on sait qu'il est infecté de crocodiles. Pour nous autres, chantres d'une Côte d'Ivoire moderne au sens de la gestion des affaires publiques conçues et mise-en-œuvre par les Occidentaux, nous avons encore de longs moments à attendre. Celui que nous voyions comme le sauveur qui allait remettre la Côte d'Ivoire sur le train de la modernité, a choisi de faire de la realpolitik.

Peut-être que ce jour viendra, mais en attendant, notre peuple a le pouvoir qu'il mérite, les dirigeants qui sont à l'image de notre société..

Abahebou Kamagate
Ingénieur en génie électrique à la retraite

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