Lettre ouverte au président de la République de Côte d'Ivoire Alassane Ouattara : la Côte d'Ivoire vous sera infiniment reconnaissante si....

Monsieur le Président, je voudrais tout d'abord vous adresser toutes mes félicitations pour ce que vous avez pu réaliser pendant ces premières années de votre mandat. Comme c'est extraordinaire et encourageant ! Vous avez pu faire sortir des tiroirs des projets qui y dormaient depuis plus de vingt ans comme les ponts de Serebou(sur la Comoé, reliant Bondoukou à Bouaké) et de Jacqueville pour ne citer que ces deux exemples. Dès votre accession à la magistrature suprême, fort de votre expérience passée, vous vous êtes attaqués directement aux fondamentaux de notre pays. Vous avez redressé la barre du navire Côte d'Ivoire. Le résultat est là, visible, palpable et indiscutable : les infrastructures sont en train de prendre forme, la sécurité améliorée, les grands ensembles de l'économie sont en mouvement, la vie a repris dans presque tous les secteurs. Le reste de votre premier mandat se situera certainement dans la continuité. Je suis persuadé que vos collaborateurs que sont les ministres sauront répondre aux espoirs que vous avez placés en eux pour bien conduire la réalisation des projets dans leurs départements et traduire votre vision en actes pour le bien-être des populations.

Monsieur le Président, nous sommes conscients de toutes les difficultés auxquelles vous faites face. En plus des problèmes économiques rencontrés par la quasi-totalité des pays de ce monde globalisé, vous avez hérité d'une situation catastrophique résultant de la crise post-électorale et de près de 20 ans d'une gestion calamiteuse du pays. Lorsque vous étiez premier ministre du président Houphouet-Boigny, vous aviez mené une politique très courageuse et audacieuse qui avait permis une stabilisation de la situation socio-économique d'alors. Deux facteurs importants ont marqué votre politique de cette période, à savoir la restructuration de l'administration publique et les nominations aux hautes fonctions politiques et administratives. Cela s'était traduit par un gouvernement réduit, composé de technocrates hautement compétents, une administration générale élaguée de ses nombreuses directions pour en faciliter le fonctionnement et surtout en réduire les charges. Ce qui avait entraîné la fermeture ou la mise au restreint de certaines sous-préfectures, un contrôle très strict de l'utilisation des véhicules de service, etc. Vous n'aviez pas hésité à prendre des décisions difficiles, sans calcul politique. Vingt ans ont passé, le président Houphouët est parti, l'instabilité s'est installée avec son cortège de malheurs et de malheureux. Aujourd'hui, vous êtes le président de la république dans un environnement socio-économique et politique complètement différent. Force est de constater que vous n'observez pas les mêmes principes de rigueur qui ont été au cœur de votre politique d'alors.

Le contexte lors de votre accession à la magistrature suprême est bien différente de celui de 1990. En effet, en 1990, vous n'étiez redevable qu'à une seule personne : le président Houphouet-Boigny. En 2010, vous accédez à la présidence grâce au soutien d'un accolage hétéroclite de groupements politiques et militaires dans le cadre d'un engagement politique de partage de pouvoir. Votre politique est forcement colorée par cette alliance dont le symbole le plus visible est la composition du gouvernement. En outre, des hommes et des femmes ont souffert à cause de leur militantisme dans votre parti, le RDR ou de leur soutien affiché à votre personne. Plusieurs parmi eux ont fait la prison, d'autres ont perdu leur emploi et même leur vie ou celle d'un parent; d'autres encore ont été maltraités et handicapés à vie. C'est tout ce beau monde qui vous a permis d’accéder au pouvoir.  En plus, votre personnel politique se compose essentiellement des cadres des partis politiques qui vous ont soutenu dans le cadre du Rassemblement des Houphouetiste pour la démocratie et la paix (RHDP). Un nombre important de ces personnes sont des purs produits du « système PDCI ». C'est une génération forgée à l'esprit du Mouvement des Elèves et Etudiants de Côte d'Ivoire (MEECI), « gâtée » par le président Houphouët pour se protéger contre les étudiants. Malheureusement, c'est aussi cette génération dont le slogan le plus partagé est « je mange ».

Comment ignorer tous ces faits ? Vous êtes donc redevables à vos militants, vous êtes liés à votre engagement politique du RHDP. Et cela à n'en point douter a des conséquences et explique sûrement la différence entre le premier ministre que vous avez été et le président que vous êtes aujourd'hui.Monsieur le président, comme vous ne pouvez pas scier la branche sur laquelle vous êtes assis, vous ne pouvez pas au nom de la bonne gestion, vous défaire de toute cette réalité et mettre en péril tout le travail que vous avez entrepris. Vous faites je pense de votre mieux pour gérer toutes les contradictions et les frustrations que cette situation crée. Le plus important je crois à ce niveau de votre mandat politique est de stabiliser la situation socio-politique, de faire avancer et consolider l'économie. Je souhaite que cela soit votre objectif prioritaire durant votre premier mandant comme vous l'avez fait jusqu'à présent. Que faire ensuite ? C'est la deuxième partie de mon adresse.

Je souhaite et espère que vous aurez un deuxième mandat. Celui-ci devrait amorcer une rupture avec le présent. Ainsi, votre vision devrait être l’avènement d'un Ivoirien nouveau dans une Côte d'Ivoire nouvelle, ayant rompu avec certaines mentalités comme la corruption, le népotisme et la gabegie. Vous ne pouvez pas avoir une Côte d'Ivoire émergente dans l'environnement social actuel qu'est le nôtre. La Côte d'Ivoire a besoin d'une mutation indispensable, mais bien contrôlée de son personnel politique et administratif. Je dis « bien contrôlée » pour éviter les dérives. Je suis sûr que vous savez mieux que moi tout ce que cela requiert. Un adage de chez nous dit « qu'on ne peut pas laver un linge sale avec de l'eau sale ». Une Côte d'Ivoire émergente requiert donc un cadre de fonctionnement des institutions modernisé, une administration simplifiée et véritablement au service des populations, un personnel de la fonction publique compétent, loyal et intègre, confiant en lui-même et recevant une rémunération adéquate.

La Côte d'Ivoire vous sera très reconnaissante si à la fin de votre présidence,vous laissez derrière vous un autre type d'Ivoiriens que l'on pourrait appeler candidement « générations ADO » ; un Ivoirien qui n'aura aucun complexe vis-à-vis d'un Européen, d'un Chinois ou d'un Américain. Monsieur le Président, oui vous pouvez le faire et j'espère que vous le ferez. Cela demande simplement une volonté politique ferme. Je suis sûr qu'il existe dans notre pays des hommes et des femmes qui sont prêts à se lancer dans cette aventure à vos côtés pour relever le défi que cela constitue. La Côte d'Ivoire sous votre direction, peut accéder au rang des pays émergents, mais cela ne peut advenir que dans un environnement socio-politique approprié, dans lequel l'effort est reconnu et récompensé, la justice est suffisamment impartiale et le citoyen se sent partie prenante dans les affaires de son pays. Hélas, pour le moment nous n'en sommes pas encore là. Au plan politique, vous devez éviter de tomber dans le piège des présidents « indispensables » ; vous devez faire fonctionner les institutions et amener le citoyen à comprendre la différence entre l’État et les individus qui les symbolisent. Si personnellement, je pense que votre travail ne peut pas être achevé en 2 mandats, vous ne rendrez cependant pas service à la Côte d'Ivoire en restant au pouvoir au-delà des deux mandats.

En écrivant ce texte, j'ai jeté un regard sur le développement de la Malaisie et l'action de son ancien premier ministre Dr. Mahathir bin Mohamad qui en est fut le maître d’œuvre et qui y a consacré un peu plus de vingt ans. Je suis sûr que beaucoup de personnes de votre entourage voudront s'appuyer sur ce type d'exemple pour vous demander de continuer votre œuvre afin de sortir la Côte d'Ivoire définitivement de son état actuel avant de passer le flambeau. Je ne pense pas que cela soit un bon conseil. Nous avons vu ce qu'est devenue la Côte d'Ivoire après Houphouët-Boigny. Pour avoir été l'alpha et l'oméga de son pays pendant près de quarante ans, il a finit par installer un système dans lequel tout tournait autour de sa personne. Parti, tout s'est effondré. Et cela, nous ne devons pas recommencer. Vous pourrez et devrez continuer à œuvrer pour la Côte d'Ivoire au-delà du poste de président. Cela doit être intégré dans votre vision. La Côte d'Ivoire aura encore besoin de vous après votre présidence. Et c'est pour cela que les réformes institutionnelles, organiques et surtout culturelles doivent être au centre de votre préoccupation pour la Côte d'Ivoire de ce 21è siècle. Celles-ci doivent permettre l'avènement d'un président de la République en lieu et place du « roi » de la république que nous avons actuellement. L'ironie est que le pouvoir illimité dont vous disposez aujourd'hui et que vous devez limiter pour votre successeur, est celui-là même qui vous permet d'entreprendre toutes les réformes que vous voudriez. Monsieur le président, les Ivoiriens et au-delà, vous seront infiniment reconnaissants si vous accomplissez cette œuvre d’avènement d'une Côte d'Ivoire modernisée et émergente.

Que Dieu vous aide dans cette tâche, - ô combien difficile- et vous guide sur le droit chemin.

Par Abahebou Kamagate

Fonds Régional d’Aménagement Rural

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